“Le monde est ainsi un studio et le studio est le monde” : 1948 – 1954

En guise de titre pour ce billet, un emprunt au livre-somme de Célestin Deliège : Cinquante ans de modernité musicale, de Darmstadt à l’IRCAM (Mardaga, 2003), disponible dans les rayons de la Médiathèque de la Cité de la Musique de Marseille .

Prendre soin du magnétophone

L’histoire des studios de musique électroacoustique remonte au milieu du 20ème siècle. Et à cette époque, un studio ça démarre parfois comme ça…

“En 1950 le Département de Musique de l’Université de Columbia avait besoin d’un magnétophone à l’usage des cours et de l’enregistrement de concerts. En 1951, le premier magnétophone arriva. Un Ampex 400. Et Vladimir Ussachevsky, jeune membre de l’Université, fut en charge d’un boulot dont personne ne voulait : prendre soin du magnétophone. Cette tâche allait avoir des conséquences importantes pour Ussachevsky lui-même et pour le medium qu’il allait développer. La musique électronique était née”. Source : New World Records

Bon. C’est un peu hollywoodien pour le goût français. Et puis, Gutenberg ne s’est pas réveillé un matin pour inventer l’imprimerie; mais tout était en place en Europe à ce moment-là pour que “ça” émerge.

Alors, on recommence. Un studio ça démarre parfois comme ça: avec UN magnétophone, dans un appartement privé, dans une pièce de station de radio, dans un sous-sol à l’université… et puis ça finit en institution où se croisent les artisans d’une nouvelle musique : la musique électroacoustique.

Aidé par une donation conséquente de la fondation Rockefeller voici le Columbia-Princeton Electronic Music Center d’Ussachevsky dix ans plus tard, équipé de machines étonnantes et conséquentes dont le fameux synthétiseur RCA Mark II – le pan de mur sur la photo ci-dessus, c’est lui.

Un mur. Avec des cartes perforées au milieu.

En complément de nos épisodes historiques sur l’épopée de la musique concrète / musique électronique / musique électroacoustique, la chrono-géographie ci-dessous s’attache donc à poser le décor d’une décennie d’effervescence et d’aventure.

Entre 1950 et 1960, des centaines d’ateliers, laboratoires et studios vont voir le jour, de l’Allemagne au Canada en passant par l’Italie, la France et le Japon. Une minorité d’entre eux sont privés, la majorité se monte dans les radios et universités publiques : le matériel est rare, onéreux, et les pionniers de la musique électroacoustique ou électronique ont besoin d’ installations et de compétences techniques (ingénieurs, techniciens) que seuls ces établissements publics peuvent fournir. On s’attardera sur les moins célèbres d’entre eux, on rebondira vers d’autres sites ou blogs pour les plus connus. Enfin le texte sera émaillé de quelques jalons : repères de dates et d’œuvres marquantes, avec un lien inséré pour aller plus loin si vous le désirez.

 

France Paris, Studio d’Essai de Radio-Paris 1948  – deviendra le Studio du GRM. Entourés de techniciens de la radio et d’ingénieurs, Pierre Schaeffer et les musiciens qui le rejoignent manipulent les 78 tours, les bandes magnétiques et les microphones au sein de ce qui allait devenir la Maison de la Radio. On en parle assez sur ce blog pour vous inviter à parcourir nos précédents billets dont L’épisode 4: L’invention de la musique concrète, et puis bien sûr plongez dans l’histoire du GRM grâce à la fresque Artsonores. Enfin retenons que 60 ans après, ces studios sont toujours actifs : infos et reportage par ici.

 

Allemagne Cologne, Westdeutsche Rundfunck (WDR), 1951. En Allemagne aussi, c’est l’institution de la Radio qui abrite les expérimentations du scientifique Werner Meyer-Eppler, du technicien radio Robert Beyer, et du producteur Herbert Eimert. Ils sont très vite rejoints par le jeune compositeur Karlheinz Stockhausen, qui sera LA grande figure tutélaire du studio de la WDR.

 

Musique concrète à Paris, Elektronische Musik à Cologne; prémices des objets sonores d’un côté, modèles sonores électroniques de l’autre : la sémantique parle. Démarche, esthétique, philosophie et pratique sont fondamentalement différentes. Plus de détails par ici, fort bien exposés chez Sonhors et chez Sonore-visuel.fr. A noter : les grandes productions de la WDR se retrouvent au catalogue Wergo, notamment dans la collection Ars Acustica (les Klavierstücken de Stockhausen, Roaratorio de Cage, Artikulation de Ligeti…)

 

USA New York, studio privé de Louis et Bebe Barron, 1951. “Equipé d’un studio électronique dans leur appartement New-Yorkais dès 1951, [le couple Barron], après s’être intéressé aux manipulations d’enregistrement depuis 1948, sans rien connaître des travaux de Schaeffer, a réalisé plusieurs musiques électroniques pour film, comme la Planète interdite en 1956, qui contribua beaucoup à l’association que fait encore le grand public entre science-fiction et sonorités synthétiques. (…) Ils accueilleront le Project of Music for Magnetic Tape de John Cage, David Tudor, Earle Brown, Morton Feldman et Christian Wolf en 1952. Cage produira William Mix, avec l’aide de Louis et Bebe Barron “ Annette Vande Gorne : Esthétique des arts médiatiques (Presses Univ. du Québec, Montréal, 1995).

 

 

     ¦ ¦ Août 1952 Woodstock : création de 4’33”, l’œuvre silencieuse de John Cage

Suisse, Gravesano studio privé d’Hermann Scherchen, 1953. Individu curieux et passionné par la recherche sonore depuis toujours, le grand chef d’orchestre allemand Hermann Scherchen crée ce studio expérimental dans sa villa de Gravesano, avec l’aide de l’Unesco.

Je fis ainsi construire un studio avec cinq murs, et non quatre, avec un plafond incliné, donc un local sans aucune ligne parallèle. J’expliquai à l’architecte : “Écoutez-moi bien. Par cette disposition, je veux essayer d’amortir toutes les interférences et les ondes stationnaires. Je veux également minimiser les particularités du local.” L’idée, au fond, était la suivante : chaque pièce est un individu, petit ou grand, capitonné ou nu et cet individu revêt différemment chaque son qui existe dans l’espace. Une pièce aux murs nus crée un long écho et rejette fortement les hautes fréquences. C’est-à-dire que l’ambiance donne la coloration sonore à chaque musique qui y est jouée. Pourtant, il n’existe pas d’ambiance convenable du point de vue du son, il n’y a que des cas particuliers” Hermann Scherchen : Mes deux vies (Editions Tahra).

Scherchen y organisera des congrès, dont le premier se tient en août 1954, sur le thème Musique et Electro-acoustique. D’autres rendez-vous suivront, avec la publication des “Graversaner Blätter” qui sont une tribune pour les compositeurs, artistes et scientifiques réunis en ce lieu.

Luc Ferrari : “Ce studio était un rêve fou, mais quand on y allait on était dans une sorte de paradis, dans un endroit idéal” A lire : les beaux souvenirs de Ferrari (entretien avec Christian Zanési paru dans Ars Sonora en 1996).

Pour clôturer ce billet sur les premier studios, quelques références discographiques disponibles à la Médiathèque :

  OHM +: the early gurus of electronic music [1948-1980] : Ussachevsky, les réalisations du couple Barron, Herbert Eimert … tout le monde est là. – 3 CD + 1 DVD Ellipsis Arts

Archives GRM : coffret de 5 CD.- Ina GRM

Acousmatrix : history of electronic music : WDR : Early Electronic Music.- BVHaast

– New World Records

Pionneers of electronic music.- New World Records

Voilà. C’est fini ? Non c’est pas fini. On continuera et on passera un jour par Berlin, Varsovie, Tokyo, Caracas et Jerusalem. Rendez-vous vers 1955.

 

Poster un commentaire