L’invention de la Musique concrète

La musique concrète et son invention par Pierre Schaeffer.

Club d’Essai, GRMC, GRM…

Dès le départ, la musique concrète  est liée aux studios de recherche musicale. Pour comprendre le travail de Pierre Schaeffer, il faut prendre conscience de l’importance de la radio en 1948 : les programmes dramatiques, les romans d’aventure, la musique et les journaux d’information  sont tous radiophoniques.

En 1951, Pierre Schaeffer fonde le Groupe de Recherche sur la Musique Concrète (GRMC). Il en laisse la direction à Pierre Henry en 1952 . En effet, il fonde la Société Radiophonique d’Outre Mer et part en mission à l’étranger.

 

En 1957, il reprend la direction du Groupe de Recherches de Musique Concrète (GRMC),  et transforme le GRMC en Groupe de Recherches Musicales (GRM)  en 1958. Il en change l’équipe, élargit les objectifs, avance l’idée d’un solfège de l’objet sonore, s’intéresse au cinéma comme moyen d’expression, organise une série de rencontres mêlant cinéastes, musiciens et techniciens. Le GRM et l’œuvre de Pierre Schaeffer sont donc  inséparables du Service de Recherche de la RTF, qu’il dirige.

La RTF et son Service de Recherche

Créé en 1960, Le Service de Recherche de la RTF  a pour fonction “d’agréger les activités de recherche fondamentale concernant la radio et la télévision”(Source wikipedia). Il compte 4 groupes  :

  • Le Groupe de Recherches technologiques répond aux besoins de l’expérimentation en créant différents appareils  qui seront plus tard adaptés à l’outil informatique. Il réunit  des physiciens, des psychologues, des informaticiens et des ingénieurs de la radiodiffusion ; il met au point de nouvelles machines de traitement du son et de l’image comme l’Animographe,  avec lequel les animateurs dessinent sur des bandes perforées de 70 mm de large. C’est grâce à l’animographe que le Shadoks de Jacques Rouxel verront le jour.

Les Shadoks

  • Le Groupe d’Études Sociologiques est là pour approfondir la connaissance du public
  • Le Groupe de Recherches Images avec des cinéastes proches de l’animation comme Piotr Kamler ou Peter Foldes.

(Vidéo non disponible sur Youtube)

Court métrage de Piotr Kamler, Musique de Bernard Parmegiani

  • Le Groupe d’études critiques est chargé de faire la synthèse des recherches
  • Groupe de Recherches Musicales (GRM) poursuit son ancienne activité de création et de recherche fondamentale, tout en étant chargé des applications professionnelles (émissions) et pédagogiques (conférences, stages, etc).

Le  GRM existe encore aujourd’hui au sein de l’INA, auquel il a été intégré  en 1975.

La musique concrète : une définition

Pour tenter de mieux cerner la musique concrète, on peut la considérer sous deux angles :

D’abord, paradoxalement, ce qu’elle n’est pas. Pour ce faire, nous partirons  du constat d’échec que fait Schaeffer lors d’un entretien télévisé avec Max-Pol Fouchet au cours de l’émission Lecture pour tous le 17 Juin 1959  :

“Mon premier propos était de trouver dans les bruits, le décor sonore dont leurs yeux étaient privés. Et puis, j’ai abouti à un échec total, car accumuler des bruits ne donne rien. C’est une accumulation qui est aussi loin de l’aspect, de l’effet dramatique que de l’effet musical. Mais à force de manipuler des bruits, des grincements, des grattements et tout ce que nous appelions à ce moment-là en nous moquant un peu nous-mêmes de nos premiers essais, des symphonies de bruits ou de casseroles, nous nous sommes aperçus que ces bruits étaient extrêmement voisins des bruits les plus traditionnels qui s’appellent des sons musicaux”

Puis ce qu’elle est…

L’expression de musique concrète apparaît pour la première fois officiellement dans la revue Polyphonie en décembre 1949 :

Elle est constituée d’éléments préexistants, empruntés à n’importe quel matériau sonore, bruit ou son musical, puis composée expérimentalement par un montage direct, résultat d’approximations successives, aboutissant à réaliser la volonté de composition contenue dans des esquisses, sans le secours, devenu impossible, d’une notation musicale ordinaire.”

Ainsi pour Schaeffer si la musique concrète n’a rien d’une accumulation de bruits, le matériau et l’expérience qui en est faite précèdent la composition . “La musique concrète n’est donc pas le fruit d’une spéculation préalable, mais celui d’un travail d’analyse et de réaction à un matériau”. (Source : Pierre Schaeffer : A la recherche d’une Musique concrète, Éd. du Seuil, collection Pierres Vives, Paris, 1952)

« Il y a toujours de vieux disques abandonnés qui traînent dans un studio. Celui qui me tombe sous la main contient la précieuse voix de Sacha Guitry. “Sur tes lèvres, sur tes lèvres…” […] Je m’empare de ce disque, je mets sur un autre plateau le rythme fort paisible d’une brave péniche, puis sur deux autres plateaux ce qui me tombe sous la main […]. Puis exercice de virtuosité aux quatre potentiomètres et aux huit clés de contact. Aux innocents les mains pleines : L’Étude n° 5 naît en quelques minutes, le temps de l’enregistrer » (idem)

Les outils

Pierre Schaeffer et le Phonogène à clavier

Pierre Schaeffer et le Phonogène à clavier

Pour les besoins de ses recherches, Pierre Schaeffer crée le Phonogène : un appareil à bande magnétique réalisé et breveté en 1951. Le phonogène  permet d’intervenir sur la vitesse de la bande donc sur la  hauteur des sons. Il existe en deux versions, le Phonogène Chromatique (à clavier) et le Phonogène à coulisse.

Les magnétophones à bande magnétique  marquèrent une étape importante de la création électroacoustique .  Vinrent ensuite durant les années 1960 les premiers synthétiseurs, puis, principalement à partir de 1980, la technologie numérique, c’est-à-dire la musique assistée par ordinateur, notamment le  protocole MIDI.

Du disque souple du studio de radio de 1948, on passera progressivement au disque dur de l’ordinateur, mais le principe est toujours le même: des sons sont captés ou synthétisés, transformés, assemblés et envoyés à un haut-parleur  grâce auquel on les entend.

Notation de la Musique concrète

A Partir de 1951, Schaeffer demande à  ses collaborateurs d’ écrire une partition préalablement à leur composition de musique concrète.  Il reconnaît que “C’est difficile parce que, il faut se souvenir que les musiciens n’écrivent de la musique que parce qu’ils connaissent parfaitement, non seulement les notes de la portée, mais les instruments qui ont émis ces sons” (in : Entretien avec Max-Pol Fouchet).

Comme l’affirme Evelyne Gayoux dans son article “Transcrire les Musiques électroacoustiques“Le fait de composer directement la matière sonore enregistrée sur un support, dans un jeu de va-et-vient entre « faire » et « entendre », [devrait ]éviter l’étape de l’écriture d’une partition. Le genre se situe de fait dans une tradition orale, où la transmission se passe sous la forme de composition d’études et la réalisation d’expérimentations. Pourtant des rudiments de partitions graphiques ont vu le jour dès la naissance du genre électroacoustique.”

En outre, dès l’origine Pierre Schaeffer  avait situé son travail dans le milieu musical savant, notamment en invitant des compositeurs contemporains à collaborer avec lui.

L’évolution des  recherches permet la naissance d’une écriture :

“C’est dans la mesure où nous connaissons maintenant mieux les sons, que nous en avons analysés beaucoup que nous commençons à avoir un certain symbolisme et nous nous apercevons d’ailleurs que ce symbolisme généralise les notions du solfège traditionnel.”

Puis plus loin :

“Il y a pas mal de signes, il y a plutôt une généralisation des signes traditionnels. Vous savez, la musique concrète, le solfège que nous pensons faire n’est pas un solfège à part, c’est plutôt une généralisation, nous pensons que comme en géométrie, et en géométrie non euclidienne qui est (…) comme un cas particulier(…). La notation comprend comme cas particulier, la notation traditionnelle.” (in : Entretien avec Max-Pol Fouchet)

Subgestuel (2000), de Gilles Racot. Transcription par Gilles Racot. (Image © GRM. )

Comme  nous l’avons déjà souligné, le plus souvent les partitions d’électroacoustique proposées par les compositeurs sont  lacunaires, ou  réalisées a posteriori. Les compositeurs ne les suivaient pratiquement pas, préférant s’en remettre à leur sensibilité auditive.

En fait, les transcriptions avaient le plus souvent un autre usage :  elles faisaient partie du matériel obligatoire à fournir à la Sacem lors de la déclaration de chaque nouvelle œuvre en vue de la gestion des droits d’auteurs. En tout cas, les premières œuvres électroacoustiques sont accompagnées d’une partition écrite soit sur du papier à musique soit sur du papier millimétré.

Traité des objets musicaux

Pendant huit ans environ, de 1958 à 1966, Pierre Schaeffer se  lance dans une vaste entreprise d’écoute systématique des sons, au cours de dizaines de séances d’écoute collective,  afin de mettre au point un nouveau solfège de l’objet sonore qui décrive les critères typo-morphologiques des sons et surtout aide à comprendre comment s’opère le passage du sonore au musical. De cet immense chantier est né un livre, le Traité des Objets Musicaux, en 1966.

En bonus : une ressource incontournable sur la transcription de la musique électroacoustique, son évolution, les recherches menées actuellement, notamment autour des Portraits Polychromes de l’INA GRM.